Le Monde.fr
| 25.11.2014 à 12h41 | Par Mustapha Kessous
L’obstréticien Denis Mukwege soigne depuis quinze ans les victimes de sévices sexuels au Sud-Kivu, dans la République démocratique du Congo (mardi 25 novembre à 20 h 50 sur France 5)
Elles ne savent pas si elles doivent continuer à vivre. Le corps en souffrance, elles ne se sentent plus femmes et vivent avec la peur au ventre. Adolescentes, jeunes mères, parfois grands-mères, elles ont été violées par des militaires. Dans ce coin de la République démocratique du Congo, au Sud-Kivu – une région riche et convoitée où des groupes armés s’affrontent depuis vingt ans –, « les femmes sont les premières victimes et leurs vagins sont devenus des champs de bataille », dit une voix off, en introduction de Congo, un médecin pour sauver les femmes.
Un documentaire qui met en lumière le travail remarquable de Denis Mukwege, 59 ans, pressenti deux fois pour le prix Nobel de la paix et récompensé par le prix Sakharov pour la liberté de pensée 2014.
En 1999, en pleine guerre civile, ce chirurgien-gynécologue ouvre l’hôpital Panzi à Bukavu, sa ville natale, pour permettre aux futures mères d’accoucher sereinement. Mais sa première patiente n’attend pas un enfant : elle a été victime d’un viol. Cette année-là, il soignera 45 femmes qui ont été sexuellement agressées. Trois fois plus l’année suivante.
Elles ne savent pas si elles doivent continuer à vivre. Le corps en souffrance, elles ne se sentent plus femmes et vivent avec la peur au ventre. Adolescentes, jeunes mères, parfois grands-mères, elles ont été violées par des militaires. Dans ce coin de la République démocratique du Congo, au Sud-Kivu – une région riche et convoitée où des groupes armés s’affrontent depuis vingt ans –, « les femmes sont les premières victimes et leurs vagins sont devenus des champs de bataille », dit une voix off, en introduction de Congo, un médecin pour sauver les femmes.
Un documentaire qui met en lumière le travail remarquable de Denis Mukwege, 59 ans, pressenti deux fois pour le prix Nobel de la paix et récompensé par le prix Sakharov pour la liberté de pensée 2014.
En 1999, en pleine guerre civile, ce chirurgien-gynécologue ouvre l’hôpital Panzi à Bukavu, sa ville natale, pour permettre aux futures mères d’accoucher sereinement. Mais sa première patiente n’attend pas un enfant : elle a été victime d’un viol. Cette année-là, il soignera 45 femmes qui ont été sexuellement agressées. Trois fois plus l’année suivante.
Impuissant, Denis Mukwege constate que ces femmes sont humiliées et détruites sans que le monde s’alarme de leur sort. Il alerte alors les ONG. Il commence à devenir gênant. Victime de trois tentatives d’assassinat, il quitte le Congo, où il est connu comme le « médecin qui répare les femmes ». Dans les couloirs de l’hôpital, on chante son nom et ses bienfaits : « A celui qui veut du mal à Mukwege, que le malheur s’abatte sur lui ! » En quinze ans, le gynécologue a pris en charge plus de 40 000 femmes. Certaines témoignent, parlent avec une voix à peine audible. La honte ne les a plus jamais quittées. Dans leurs yeux s’exprime une infinie tristesse car, au-delà de leur corps, c’est aussi leur vie que leurs assaillants ont volée.
Perte d’identité
Régina, 22 ans, face caméra, raconte son agression : comment un homme l’a flanquée au sol, puis l’a violée, avant que d’autres n’arrivent… Quand elle se confie à son mari, il « s’énerve ». Avec son accord, Régina se rend à l’hôpital Panzi. Mais une fois soignée, pas question qu’elle rentre chez elle, son mari ne veut plus d’elle. Comme l’explique Denis Mukwege, le viol est une agression physique mais aussi mentale, entraînant chez les victimes une véritable perte d’identité. Commis à grande échelle, ces crimes détruisent le tissu et la cohésion sociale. Sans oublier les dégâts que causent les maladies sexuellement transmissibles…
A ce drame s’ajoute souvent un autre, quand les femmes violées se retrouvent enceintes, une sorte de double peine difficilement surmontable. Alice, 16 ans, rejetée par sa famille, explique que, si elle trouve un toit, elle gardera l’enfant, sinon elle l’abandonnera. « Je ne pense pas avoir la force de l’aimer », dit-elle.
Ce documentaire – extrêmement pudique – traite le sujet du viol avec une grande sensibilité, sans jamais tomber dans le pathos. Même si ce film reste centré autour de la personnalité de Denis Mukwege, le médecin ne se met jamais en valeur. Bien au contraire, il se dit « gâté » par la vie face à ces « femmes fortes », capables de prendre en charge un enfant qu’elles n’ont pas désiré.
« Congo, un médecin pour sauver les femmes », d’Angèle Diabang (Fr., 2014, 52 min). Mardi 25 novembre à 20 h 50 sur France 5.
Mustapha Kessous
Africultures
23/12/14
VOUS N’AVEZ QUE JUSQU’À LA FIN NOVEMBRE 2014 POUR VOIR L’EXCELLENT DOCUMENTAIRE D’ANGÈLE DIABANG SUR LE DOCTEUR DENIS MUKWEGE ET SON HÔPITAL POUR FEMMES VICTIMES DE VIOLENCES SEXUELLES DANS L’EST DU CONGO, LÀ OÙ DES ENFANTS SOLDATS IMMATURES SONT LANCÉS SUR DES FEMMES QUI POURRAIENT ÊTRE LEURS MÈRES, LE VIOL ÉTANT POUR LES REBELLES DU KIVU UNE ARME DE GUERRE EN DÉTRUISANT LE TISSU SOCIAL, CAR TOUS Y PERDENT LEUR IDENTITÉ : LES FEMMES, MAIS AUSSI LEURS MARIS ET LEURS ENFANTS.
Voici que ce documentaire d’une jeune réalisatrice sénégalaise est programmé en début de soirée sur France 5, une chaîne française de bonne diffusion. C’est assez rare pour devoir être signalé. Mais c’est d’autant plus important que ce film est d’une extrême intelligence sur un sujet difficile. Angèle Diabang aurait pu en rester à un portrait flatteur du célèbre chirurgien-gynécologue qui « répare » les femmes, et revient triomphalement au pays qu’il avait dû quitter en 2012 après trois tentatives d’assassinat. Au contraire, au diapason de l’humilité de son personnage, ce que dit Denis Mukwege face à la caméra n’est qu’un rémanent point de départ pour d’autres paroles, celles des psychologues et autres soignant(e)s, celles des femmes violées, également au centre de l’image, dans toute la force de leur visage découvert, elles qui tiennent à témoigner à la face du monde de l’horreur qu’elles ont vécues, dans le fol espoir que cela serve à la conjurer. Toujours, le cadre les place en beauté et dignité ; toujours, une juste distance est respectée.
Les hommes, dit Mukwege, « transforment le ventre des femmes en champ de bataille ». De poignants récits lui donnent trop malheureusement raison, non seulement des viols mais du rejet que vivent ensuite les femmes dans leurs familles. « Mes larmes coulent toutes seules » : on apprend que des femmes reviennent, violées une nouvelle fois, et que dire à l’enfant issu du viol ? Comment l’aimer ?
Attentive aux ambiances, aux détails, aux émotions et surtout à la vitalité des femmes et comment elles animent l’endroit, Angèle leur rend la première place, à l’image de l’objectif de cet hôpital : leur redonner espoir, les alphabétiser, les aider à refaire leur vie avec un métier (dans les centres Dorcas).
Des hommes réparent ce que d’autres hommes ont fait : des chirurgiens se forment et tentent de déjouer les méfaits issus de la « complicité coupable » des puissances occidentales, alors même que « sans justice, il n’y a pas de paix ». Par son action comme par son franc-parler, le Dr. Mukwege dérange aussi bien les Rebelles que les Gouvernants, mais il prend le risque d’agir car « ce sont ces femmes qui feront le changement », par leur résilience et leur vitalité, et « qu’il faut se battre à leurs côtés ».
Olivier Barlet
Le Quotidien
23/12/14
Film : Un médecin pour sauver les femmes de Angèle Diabang
Difficile d’écouter de douloureux cris de viol. C’est pourtant à cet exercice que convie dans son dernier long métrage la réalisatrice Angèle Diabang. Elle a suivi les femmes de la République Démocratique du Congo, en soin chez le Dr Denis Mukwege, pour raconter au monde l’horreur. Un médecin pour sauver les femmes est le cri du cœur d’une femme de cœur qui refuse de taire un crime perpétré sur toute une génération de femmes, de mères, de fillettes, d’enfants. Angèle Diabang fait résonner, images à l’appui, la voix de toutes ces femmes violentées. Un film poignant, insoutenable, qu’on ne peut finir de voir sans verser des larmes ou tout au moins avoir un sentiment de révolte.
Un médecin pour sauver les femmes : c’est le titre du dernier film de la réalisatrice Angèle Diabang. Un titre assez illustratif pour décrire cette œuvre assez poignante. Comme à l’accoutumé, la réalisatrice a réussi la prouesse de proposer une histoire touchante, un long métrage qui laissera des taches dans l’histoire, mais surtout qui plonge le cinéphile dans ce drame qui se déroule au Congo. Quand on pénètre dans cet univers, celle des femmes violées du Congo, on en sort jamais indemne.
Comme elles, Angèle Diabang garde les séquelles des douleurs qu’elle a filmées et gardées pour la postérité. C’est d’ailleurs sur cette douleur que ce long métrage débute. On découvre dès le début du générique des visages tristes de femmes violées. Une tristesse qui se lit dans ces regards et qui témoigne de ce qu’ont pu vivre ses congolaises. Certes, jamais le cinéphile ne peut se faire une réelle idée du viol s’il ne l’a pas vécu. Mais pour lui faire toucher du doigt cette triste réalité, Angèle Diabang fait le pari d’utiliser un langage filmique cru. C’est le langage de la vérité. Et pour cela, les mots du commentateur comme celui des interviewés s’enchaînent dans une description qui force la curiosité. «Les vagins sont devenus un champ de bataille où s’affrontent les groupes armés… Ce qui se passe au Congo est une complicité coupable», narre-t-on.
Et pour pallier cela, le docteur Denis Mukwege, après une longue période d’exile, est revenu au bercail «reconstruire les femmes». A l’image, Denis Mukwege est accueilli en héros. Acclamé sur des kilomètres par une foule en liesse, notamment des femmes en pleurs qui se jettent dans ses bras. L’on devine aisément qu’au Congo, il est un «messie». Ces femmes lui offrent des fleurs, toutes sortes de cadeaux pour saluer son retour et son courage… En réalité, depuis plus de quinze ans, ce gynécologue-obstétricien opère les femmes victimes de sévices sexuels dans l’hôpital de Panzi, dans l’est du pays. Là-bas, des groupes armés s’affrontent depuis une vingtaine d’années pour piller les ressources de la très riche province du Sud-Kivu. Et ces rebelles utilisent le viol comme une arme de guerre. Angèle Diabang, pour montrer les conséquences de ces crimes, offre à voir à visage découvert les confessions de nombreuses de ces femmes aujourd’hui en traitement à Panzi. Elles sont enfants, jeunes filles, personnes d’âge mûr ou encore vieilles femmes.
Les victimes
Annie-Françoise 17 ans, Regina 23 ans, Barhakomerva 46 ans. Toutes sans exception ont pour dénominateur commun, «un viol parfois collectif commis par un ou des hommes armés». Bien qu’elles marchent difficilement à cause des sévices qui leur ont été infligés, elles racontent l’horreur. Comme pour l’exorciser. Recroquevillée contre un mur, Annie-Françoise, 17 ans, triture un châle rose. Les yeux baissés comme pour fuir le jugement du monde, elle se raconte : «Tout mon entourage me déteste parce j’ai été violée. Ça s’est passé sur le chemin de l’école, par des militaires… Malheu – reu sement, je suis restée en vie. Je me suis résignée. Si seulement j’avais eu la possibilité de mourir…» Barhakomerva, 46 ans, mime à une assistante sociale la façon dont quatre hommes, «en tenue militaire», l’ont forcée, brutalisée. Avant de s’effondrer en larmes. «A l’exception d’une seule, toutes ont voulu témoigner à visage découvert pour que le monde entier se rende compte de ce qui se passe au Kivu», explique Angèle Diabang.
Un sujet pénible
La réalisatrice confie qu’à plusieurs reprises, lors du tournage, il a fallu poser la caméra face à ces récits glaçants. Certaines femmes, à peine sorties de Panzi, se font de nouveau violer. Elles décrivent la double peine en plus du viol, la façon dont la société les juge, les montres du doigt. Comment elles sont rejetées, abandonnées par leur famille et leur communauté. D’autres sont contaminées par le sida. Aline, 16 ans, ne «pense pas avoir la force d’aimer (son) enfant». Enceinte de quelques mois seulement, elle confesse face à l’écran et sans sourciller : «Je ne pense pas avoir la force d’aimer l’enfant que je porte.» Des images et propos qui choquent les cinéphiles. Qui les choquent plus encore lorsqu’ils apprennent dans le film le viol commis sur un enfant de 18 mois. En réalité, Un médecin pour sauver les femmes, loin d’être un portrait glorieux du Dr Mukwege, dévoile le travail qu’il réalise au quotidien à l’hôpital de Panzi. Non seulement la réalisatrice réussit à décrocher les témoignages de ces femmes violées, mais pénètre aussi dans l’univers des médecins, assistants sociaux et psychologues pour révéler que dans ce lieu mythique, tout le monde panse ses blessures, ses plaies d’une manière assez touchante. L’une des assistantes so ciales l’avoue : «Quand je regarde ces femmes, je suis choquée. C’est difficile, c’est insupportable… Par fois, j’arrête d’écouter leurs récits pour ne pas craquer devant elles… Je suis incapable de pleurer sur leur sort… D’ailleurs ma thérapie, je la trouve chez ces femmes.»
Interpellée sur sa démarche, Angèle Diabang, qui a versé encore des larmes le soir de la projection- presse – plusieurs mois après le tournage du film – explique : «J’aurais pu faire un film sur un docteur super-puissant, sur l’excellent chirurgien ou l’homme qui, au lieu de rester tranquillement en éxil, choisit de revenir et d’hypothéquer sa vie en étant constamment sous protection. Mais ça aurait été trop facile. Le meilleur moyen de parler de lui est de montrer son travail auprès des femmes, comment il les aide à regagner leur dignité, à prendre leur destin en main.» Effecti ve ment, c’est ce qui ressort de ce chef-d’œuvre filmique. La réalisatrice est allée jusqu’à filmer les hommes en blouse en pleine salle de reconstitution de vagin. Mais elle ne laisse pas le cinéphile sur ces tristes images. Elle montre également que malgré le silence des Etats, de l’Onu, du monde, ces femmes violées avancent résolument vers un «Congo meilleur». Pour cela, le long métrage s’achève sur une belle note de réinsertion de ces dames qui ont connu «l’injustice de la vie». Angèle Diabang les montre dans les ateliers de réinsertion sociale : couture, tissage… Car à Panzi, l’on répare aussi ces vies abîmées par les travaux domestiques, la culture, les jeux de société, la religion… Et l’on se dit finalement que la vie mérite d’être vécue.
La femme dans les films de Angèle Diabang : Un combat qui s’explique
Après la projection du film Un médecin pour sauver les femmes à la presse sénégalaise, il a été difficile de poser des questions à la réalisatrice. Non pas parce que le sujet n’intéresse pas. Non pas parce que le film ne plaît pas. Encore moins parce qu’elle n’a pas réussi cette œuvre. Rien de tout cela. Les journalistes, par ailleurs cinéphiles, n’avaient plus de mots après avoir par l’image effectué un long voyage à Panza. Tous ont été sous le choc un moment avant que les langues ne se délient pour comprendre la démarche ou les objectifs de la réalisatrice. Cette dernière, très émue, n’a également pas manqué de verser des larmes. «C’est comme ça à chaque fois que je regarde les témoignages de ces femmes. Ça fait mal…», dit Angèle Diabang. «La femme est la base de l’humanité, c’est la matrice du monde. Détruire la femme, c’est déstabiliser le monde», fait-elle savoir avant d’expliquer qu’elle a décidé de réaliser ce film après avoir un jour, en regardant la télévision, été touchée par ces informations horribles sur la Rdc.
«Je zappais comme tout le monde un jour, et j’ai vu ces infos à la télé. Je me suis alors demandé ce que je faisais pour ces femmes et pour mon Afrique ? C’est pour cette raison que je suis allée faire ce film», témoigne Mme Diabang. Mais ce n’est pas la première fois qu’elle réalise une œuvre sur la douleur de la femme. En 2005 déjà, elle avait sorti son premier documentaire, Mon beau sourire, qui évoquait la souffrance que certaines s’infligent pour se faire tatouer les gencives en noir, un critère de beauté au Sénégal. L’on se souvient également qu’en 2007, Angèle Diabang était revenue dans les salles avec Sénégalaises et islam, un documentaire dans lequel elle donne la parole à des femmes qui vivent de manière très différente la même religion… Fina lement, l’on est en droit de se demander si cette réalisatrice, par ailleurs présidente du conseil d’administration de la Société de gestion collective des droit d’auteur, n’est-elle pas une féministe ? «Si porter le combat des femmes et dire non aux brimades, dire non à la violence, dire non à l’injustice, c’est être féministe, alors je le suis», répond-elle, amusée. En réalité, Angèle Diabang ne se décrit pas comme une militante de la cause féministe, mais dit plutôt proposer «un regard sensible sur des questions de femmes». Son objectif : faire réfléchir en donnant à voir. Elle vient encore de gagner ce pari à travers son long métrage Un médecin pour sauver les femmes. Vivement la sortie prochaine en salle de son adoption de l’œuvre Une si longue lettre de Mariama Bâ.
arsene@lequotidien.sn
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