LE MONOLOGUE DE LA MOUETTE

Home / Lire plus / LE MONOLOGUE DE LA MOUETTE
LE MONOLOGUE DE LA MOUETTE

CINERGIE.BEPhilippe Simon
03 avril 2008

Sénégal, Dakar, début du 21ème siècle. Guéro, une jeune fille exilée de sa campagne natale, travaille comme bonne à tout faire pour une famille de la banlieue pauvre de la capitale. Taillable et corvéable à merci, elle nous fait partager sa servitude en un long monologue fait de rébellion contenue et de désir d’évasion.

Le film de Khady Sylla et Charlie Van DammeLe monologue de la muette, étrange assemblage de documentaire et de fiction théâtralisée, prend prétexte de la vie de Guéro pour interroger les tensions de l’actuelle société sénégalaise et, plus loin, les rouages économiques et sociaux qui font de l’asservissement et de la sujétion de certaines femmes une évidence difficilement acceptable qui pourtant, s’impose presque comme un mode de vie. Comme le dit l’une des femmes du film : « Cette histoire se passe à Dakar, c’est-à-dire à peu près partout et il faudra plus que des bons sentiments pour qu’elle appartienne définitivement au passé ».

Film politique, film de lutte, Le monologue de la muette surprend par sa facture et l’intelligence de sa construction. Loin des lieux communs d’un féminisme facile, il met en résonance plusieurs paroles de femmes à partir de celle silencieuse, marginale et minoritaire de Guéro, la bonne. Derrière son apparente soumission, ce sont les voix de celles qui refusent et se révoltent que son monologue intérieur appelle et autorise à l’image.

Si la vie de Guéro nous est livrée sous une forme documentaire, les autres voix du film vont emprunter les distances du jeu théâtral pour mettre en évidence ce qui dans l’histoire particulière de Guéro dépasse la simple réalité anecdotique. Que cela soit au travers de scènes telles que celle improvisée entre une bonne renvoyée et les femmes du quartier prenant son parti contre sa patronne ou dans les interventions portées devant la caméra par une femme en colère, Le monologue de la muette trouve son chemin vers une parole universelle. Et cela surprend, et cela étonne. Car il faut une maîtrise certaine pour mélanger, avec succès et sans fausse note, des démarches qui, généralement, s’annulent plutôt qu’elles s’épousent. Sans doute une telle réussite tient-elle dans cette vérité que portent les réalisateurs du Monologue de la muette mais aussi dans leur façon de filmer les femmes de leur film au plus vrai, au plus sincère de ce qu’elles disent, de ce qu’elles sont.

Quelque chose de fort et d’essentiel traverse ce film et le fait tenir debout comme un geste non pas de résistance mais de présence, d’évidence de vie; et ce n’est pas un hasard si nous nous retrouvons, dans cette phrase murmurée par la muette : « Notre printemps fera le tour du monde. Spartacus est avec nous ».


IDFA

Dans la voix-off, nous entendons les réflexions d’Amy, une jeune fille dans une zone rurale du Sénégal qui travaille comme domestique pour un bien-to-do-famille à Dakar. Elle se plaint de son employeur, qui continue la critique et reçoit sur son cas, et elle parle de son rêve d’un jour d’ouverture de son propre restaurant. Pendant ce temps, nous voyons son balayage de la chaussée, de préparer la nourriture et nettoyer la maison. Le contraste avec son vaste et aride région natale est énorme. A Dakar, quelque 150.000 jeunes femmes travaillent en tant que foyer pour les familles dont les filles peuvent aller à l’école. « Pourquoi est-ce que l’émancipation de certains résultats dans la servitude d’autrui? » les réalisateurs se demandent à voix haute. Ils interrogent d’autres jeunes demoiselles qui rêvent d’aller à l’école, et ils film une femme qui crie sa colère paroles directement dans la caméra en mode rappeur-like: « Je garde de vos maisons grinçant propre, mais tous pensent que je suis sale! » Dans une scène de fiction dans un bidonville, les femmes démontrent comment ils souhaitent faire face à une femme qui ne paie pas assez de sa femme de ménage. En réponse à la situation, les cinéastes de faire un appel à changer les règles de l’économie mondiale.


FILM DOCUMENTAIRE.FR
Yann Lardeau

La muette, c’est la bonne, personnage nouveau à Dakar. Corvéable et révocable à merci, souffre-douleur de patrons capricieux, soumise à toutes les pressions, à toutes les menaces, à tous les arbitraires, sans défense, sans droits, condamnée à obtempérer et à se taire, la bonne cristallise les aberrations de la transformation de la société sénégalaise, les contradictions de la mondialisation : la chosification de l’être humain, une précarité d’emploi source d’angoisse et de douleur, des villages qui se dépeuplent de leur jeunesse, des femmes qui travaillent à la place d’hommes devenus incapables de nourrir leur famille, une croissance exemplaire et une population qui ne cesse de s’appauvrir. « Ce que je ne fais pas à autrui, je ne veux pas qu’on me le fasse. Tout le monde peut se retrouver à faire la bonne. Celle qui nous paye est bonne à sa manière. Il y a toujours un patron pour payer. » (Ou pour ne pas payer.) Exploitée à la ville, elle l’est aussi au village, par les siens. Alors, la muette hurle sa colère en brisant les codes, en faisant feu de tout bois : en témoignant simplement avec ses mots ou en montant sur la scène, en mêlant le théâtre au documentaire, le jeu aux situations objectives de travail, la fiction au décor réel des taudis, en séparant le son de l’image, en étendant son message au pays entier, de Dakar aux villages les plus reculés, en faisant résonner la cruauté du verbe sur la beauté de son visage si digne dans son silence.

Leave a Reply

Your email address will not be published.