LE RITE, LA FOLLE ET MOI

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LE RITE, LA FOLLE ET MOI

CLAP NOIRLes Raisins de la colère de Caroline Pochon
Août 2012

Ethnographique, Gentille M.Assih l’est également avec son deuxième documentaire, Le rite, la folle et moi où, après avoir décrit les rites de passage à l’âge adulte chez les hommes (Itchombi), la réalisatrice issue d’Africadoc décrit l’initiation au féminin, dans l’arrière-pays togolais. Mais Gentille M.Assih n’est pas que gentille ! Elle transcende puissamment l’approche ethnographique, en utilisant le rituel, ainsi que la caméra ethnographique, pour faire un travail familial magistral et bouleversant. En abordant son père, porteur d’un douloureux secret de famille, à l’occasion de l’intronisation de sa petite sœur comme femme, Gentille rejette la transmission trangénérationnelle de la douleur, fait la paix avec ses ancêtres, libère son père en lui pardonnant, dans un geste d’amour magnifique. Très réussi et formellement maîtrisé, le film vaut bien quinze ans de psychanalyse.

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TRAFIC N° 82
Trafrique en doc de Jean-Marie Barbe
Juin 2012

Le second documentaire est le deuxième film d’une réalisatrice togolaise, Gentille Assih, qui vit aujourd’hui totalement isolée dans la banlieue de Montréal, réfugiée avec ses deux enfants. Nous l’avons rencontrée pour la première fois en 2006. Elle a suivi alors une résidence d’écriture à Saint-Louis du Sénégal et réalisé ensuite son premier documentaire, Itchombi. Documentaire sur un rite initiatique concernant les jeunes hommes. La circoncision en est le moment central, et pose aujourd’hui un problème sanitaire grave. En effet les couteaux traditionnels ne sont pas désinfectés, ainsi une personne infectée par le virus du sida peut transmettre la maladie à toute une génération; mais les tenants de la tradition dans les villages refusent que l’on modifie la tradition et que l’on touche au rituel. Gentille filmera seule, caméra au point, se plantant au milieu des situations, des rapports de force qui s’affrontent autour de cette question de l’évolution d’une pratique traditionnelle, le rituel en lui-même gardant cette dimension de spectacle assez halluciné, mais perdant une part de sa dimension sociologique au profit d’une gravité d’une autre nature, celle du « rester en vie » ! Évidemment, dans ce nouveau cinéma documentaire africain les rituels ne font pas du coup l’objet d’une approche ethno-anthropologique, ni folkloriste, mais sont indéniablement un champ d’investigation autour d’une africanité originelle. Ils deviennent soudain le questionnement d’un auteur en lien avec sa quotidienneté. Dans ce nouveau film que je produis en association avec ma jeune collègue de Dakar, Angèle Diabang, ce qui marque d’emblée, c’est le dispositif de travail à distance de ce film. Le montage à distance entre la réalisatrice installée à Montréal et Joëlle la monteuse installée à Lussas n’aurait pas été possible sans l’apparition de la chaîne numérique. Les outils d’aujourd’hui sont extraordinaires : on peut envoyer les séquences à mesure qu’elles se montent, et échanger dans l’heure qui suit par Skype. Joëlle : « Ce qu’il faut dire en préambule, c’est que Gentille et moi on est très com- plices depuis ce premier film, Itchombi, et que c’est au cours de ce premier montage qu’elle a commencé à me parler de ce qui n’était qu’un embryon de projet. » Évidemment, cela tient au fait que toutes deux sont extrêmement complices, je connais bien des réalisateurs qui ont besoin d’être physiquement à côté de la monteuse ou du monteur et ne supporteraient pas cette situation. Gentille, il y a dix ans, à l’occasion là aussi d’un rituel, l’akpéma, que subissent toutes les jeunes filles de son village, a vécu un événement très marquant. Pendant la semaine de son initiation, un jour, une vieille considérée comme la folle du village l’a soudainement entraînée dans sa case en l’appelant du prénom de sa grand-mère! Gentille, assez éberluée, accepta au demeurant d’écouter le récit de la folle. « Elle me raconta son histoire pendant la période de son propre akpéma. Les souvenirs de ma grand-mère lui revenaient. Par bribes, j’appris que l’akpéma fut aussi pour ma grand- mère l’occasion des cérémonies de ses noces. Elle fut en effet forcée d’épouser mon grand-père, chef du village, qui avait déjà une vingtaine de femmes. Quelques années plus tard, on l’accusa injustement d’infidélité et elle dut quitter le foyer conjugal, laissant son fils unique, mon père, qui n’avait que sept ans, à la merci des autres marâtres. Mon papa eut une enfance très difficile. C’était l’enfant de la femme indigne, le bâtard. Selon Kougnondou, la vieille folle, je ressemblais donc trait pour trait à ma grand-mère. Je compris alors pourquoi mon père me maltraitait. Je réveillais en lui la haine qu’il avait gardée contre sa mère, celle qui l’avait abandonné, selon ce qu’on lui a toujours fait croire. Aujourd’hui, Kougnondou est morte, emportant le secret de ma grand-mère dans la tombe. Mais moi, je connais la vraie version de l’histoire. J’ai le devoir de rectifier le mensonge, de dire enfin que ma grand-mère était innocente, victime de la tradition. Il faut que mon père sache la vérité pour qu’enfin il soit libéré de la haine qui lui empoisonne la vie. » Ce film est pensé pour résoudre une question qui empoisonne le réel d’une communauté dont la réalisatrice est au premier chef la protagoniste, il est un outil idéal de transformation des rapports entre les personnes. Gentille tresse trois formes de cinéma : sa propre mise en scène comme actrice du récit en lien avec d’autres personnages. Comme œil de la caméra immergée et observatrice dans des séquences purement cinéma du réel où elle saisit des éléments qui documentent. Comme protagoniste, personne, personnage de son propre film dans une dimension de cinéma de l’intime où elle se met en situation d’explication-confrontation avec son père. Comment in fine ces différents niveaux de cinéma vont-ils faire corps? Voilà l’une des alchimies qui se nouent ces jours entre Lussas et Montréal. 

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